Je voudrais me faire du mal, me violer moi-même en m’enfonçant la tête dans un polochon, serrer les dents jusqu’à en avoir mal à la mâchoire, jusqu’à ne plus sentir l’autre – l’autre douleur – derrière. J’aimerais me punir de voir ce sexe de femme collé contre mon visage d’enfant, cette touffe chaude et humide qui remue et m’étouffe. J’aimerais me faire du mal à imaginer ces deux hommes me prenant par derrière, se creusant une voie royale dans mon enfance. J’aimerais me tuer de cet instant de plaisir en pleine humiliation, de cette amorce de joie au ressentir de ces corps mous, pâles, adipeux ou maigrichons, mais tout de même chauds et caressants au moins l’espace d’une seconde. J’aimerais mordre la langue volée par la langue des grands, arracher cette peau sur laquelle toutes ces mains se posent.
J’aimerais arracher les yeux de ce regard perdu qui cherche en vain un ami, ce corps nu recroquevillé sur lequel on pisse en riant, puis qu’on lave à l’eau froide. J’aimerais étouffer cette gorge pleine de membres et de leur sève lubrique au goût salé, nauséabond, entre l’amer et le gluant. J’aimerais quitter cet esprit plein de toutes ces choses. Plus je décris, plus j’imagine de ces sensations : poils pubiens sous mon nez, rêches et odorants, membres durs, mous, mi-durs mi-mous, qui voyagent autour de ma bouche tandis que d’autres mains violent mon intimité, comme si rien, pas même mes entrailles, n’était hors de leur portée. Sensation de ne pouvoir résister face au nombre, et pas seulement face à la force. Peur de rester là, dans ce cloaque, mourir étouffé sous un testicule ou une vulve. Et aucun visage : rien que des corps sans tête, comme si les yeux essayaient de préserver un dernier vestige d’intimité en fuyant les regards – intimité dérisoire quand même votre merde s’étale aux yeux de tous. Et les rires, l’indifférence lubrique, la curiosité narquoise, les caresses qui cherchent à m’arracher un plaisir malgré la souffrance, la peur, la terreur, l’effroi, l’horreur. Impossible de crier, ou même de vouloir crier. Pas d’espoir, puisque la mère est là, qui jouit – qui jouit de toi, qui jouit d’un autre – peu importe. Tout coule : les corps dégoulinent de sperme, de sueur, de salive, de pisse, de toute sorte de liqueurs âcres se mêlant au vin et à la cigarette. Le bruit des voix se mélangent aux odeurs, aux regards, dans une cacophonie qui n’en finit pas de résonner dans ma tête jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que le corps s’affaisse.
Est-ce vécu ? Est-ce imaginé ? Le dégoût m’envahit. Comment mon esprit peut-il contenir tout cela ? Suis-je pervers ? Je pourrais continuer à l’infini si cela ne faisait si mal. Est-ce que j’ai réellement vécu cela ? Est-ce que je me l’imagine. Déjà ma langue se colle au fond de ma bouche pour recevoir un autre membre, mes lèvres s’entrouvrent presque, dans un geste machinal. Entre l’espoir d’un peu d’attention et la peur du ceinturon, est-ce que l’enfant que j’étais a vécu cela, ou est-ce que l’adulte que je suis se fait des scénarios ?
Hésitation qui me torture. Je me hais de voir tout cela. Plutôt m’arracher les yeux ! Mais comment arrache-t-on les yeux de l’esprit ?
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