lundi 30 mars 2009

Courir

Courir pour ne pas mourir, courrir

dimanche 29 mars 2009

Le voyage

On avance dans la vie à petit pas quand les bagages sont lourds. On essaie de se débarasser d'une valise, d'un mauvais colis, mais tout est si bien ficelé que la valise ou le colis reste accroché, sans remède. Alors il faut bien avancer. On pèse son pas, on pèse sa pensée, on pèse son souffle.

On progresse dans la boue de la vie en essayant de ne pas penser aux effluves malsaines s'échappant de son fardeau, en se bouchant le nez discrètement. On essaie de rêver... on essaie... Juste pour passer le temps, ou au moins un instant... On ne pense à rien, à rien. On se perd dans les automatismes d'une vie de lombric, on tord son corps blanc à travers la boue du terrain, sans crier car la bouche n'est plus qu'un orifice à traiter la boue.

On traverse ainsi la vie à petit pas, avec ses bagages dont on ne sait même plus ce qu'ils contiennent. A-t-on un but ? Non, parce qu'aller quelque part vous ramène à votre point de départ, et de celui-là, il n'y a plus trace.

Est-ce de l'errance, alors ? Non plus, parce que l'automate sait où il va : il va à l'instant suivant, puis à l'autre, et d'instant en instant, il fait le tour du monde, d'un monde irréel et lointain, d'un monde qui n'existe pas. On fait des détours pour aller vers ce nulle part, mais on y revient toujours. On sait où on ne va pas, surtout pas.

Et puis, quand il faut y aller, y passer, on a la mort dans l'âme, l'âme dans la mort. Le lombric s'effiloche, perd sa chair, se transforme en une improbable chrysalide, une infâme chrysalide d'où sort un étron plus laid et nauséabond encore. Produit de défécation à la découverte de la vie, de quoi rire au vent en se bouchant le nez.

Une autre chrysalide peut-être ? Une autre transformation ? Ou un autre instant, suivi d'un autre encore.

A quand la fin du voyage ? Mais le temps existe-t-il ? Tout est arrêté, comme une horloge couverte de toile d'araignées dont les aiguilles se sont immobilisées sur minuit, l'heure du crime, suspendue entre une journée et une autre, une vie et une autre - essence du basculement existentiel, point nodal où une existence disparaît et est remplacée par son image fantôme.

On avance dans la vie à petit pas, dans de petits souliers, avec des petits rêves, des petites corvées, des petits désespoirs... et un grand dépotoir.

Cauchemar

Pourquoi le vent doit-il souffler dans les yeux des enfants ? Pourquoi les relents malsains des adultes doivent-ils encombrer le corps des petits ?

Une main dans le noir, un cri étouffé. Une main qui prend, un corps qui se défend.

Tout cela se passe si vite. Rien ne se voit, tout est noir, irréel. Rien n'est su.

Se cacher, se sauver, trop tard. C'est lourd, un corps d'adulte, lourd et chaud, lourd et dur. Si au moins il était froid, si au moins il était méchant: mais il est bête, il essaie d'être doux, et il sent mauvais le vin, la cigarette. Il est chaud et berce, et vous transperce.

Pourquoi le vent doit-il soulever le drap des enfants ? Pourquoi les déboires des adultes doivent-ils se déverser sur les petits ?

La lumière qui brille de partout, la musique qui assourdit, la tête qui tourne, le sol instable.

Les yeux vous regardent, les yeux vous déshabillent. Nulle part où se cacher. Les rires vous entourent, les rires vous étouffent.

Rien n'est sérieux. Mesdames, Messieurs, le spectacle commence. Venez vous amuser, vous êtes là pour ça.

Où est le théâtre ? Où sont les acteurs ? Qu'est-ce qui est vrai ? Où est le réel ?

Un mauvais film, un souvenir qui s'est trompé de porte peut-être, des sentiments qui divaguent, un souffle qui tremble, suspendu entre un rien et un autre.

Les yeux vous percent, vous volent, mais sont-ce des yeux ? Où ? Comment ?

Et puis les mots... ces mots... qui vont de l'avant, de l'arrière, de l'avant, de l'arrière, qui ne savent où aller, où jouir. Et puis tous les mots qui ne remplacent pas la réalité, ne la refont pas, mais qui fondent et transfusent mes pensées en délires, ou mes délires en pensées.

Les mots courent, comme la pensée. Ils courent là où le corps n'a pu fuir : ils courent, nus, sur ces toits d'un village hypocrite où les bouches sont closes en un sourire entendu, complice - complice de qui ?

Les mots courent sans s'arrêter, sans rien pour les arrêter, suivant le fil d'un délire qui tarde à devenir souvenir, qui ne trouve trace de mémoire et qui se construit lui-même en un semblant d'existence. La légèreté des mots, leur inessentialité.

Ecrire non pas pour dire, mais pour se trouver, se trouver dans ses délires à défaut de se trouver dans sa réalité. Si les bases manquent, alors les créer de toutes pièces, mais dans le vide. Existence improbable, frissonnante de peurs anciennes.

Mais les mots butent contre les araignées velues, prêtes à sortir de leur trou, à sauter sur le corps, le remplir de leurs mains velues, injecter leur venin visqueux et faire courir leur bouche infâme sur un corps tordu de terreur. Le délire se fait maintenant cauchemar, cauchemar d'une vie dans un coin sombre et humide. Peau hérissée d'horreur, sang et regard gelés en une agonie fictive, inventée, tout pour sortir de là.

Les collines verdoyantes luttent contre les pas des arachnides, le soleil d'été contre l'obscurité de la nuit mangeuse d'enfants. Rien n'y fait. Les bestioles ont envahi une vie et s'y sont installées. Elles resteront. Reste à les confiner dans un coin sombre de sa souffrance, un coin discret dont on laissera la porte soigneusement fermée. Plutôt brûler, plutôt pourrir, plutôt se noyer que d'ouvrir cette porte. Nier jusqu'à l'existence de la porte même si elle est là, devant le regard se faisant hagard.

Et pourtant, c'est là qu'est resté quelque chose de précieux, quelque chose qu'on n'a pu sauver. Mais quoi ? Quoi ? On ne se souvient pas, on ne se souvient plus ? S'est-on jamais souvenu ?

Tout cela n'était qu'un rêve, un mauvais rêve. Dors mon enfant, dors, dans les bras de maman.

Oui, maman. Maman, tu as les mains sales.

lundi 16 mars 2009

Citation

R. Neuburger : Les familles qui vont la tête à l'envers, Ch. 1, p. 24 :

"Dans les mythes familiaux, comme dans tout dispositif mythique, on trouve trois sortes de signifiants: ceux qui indiquent le destin individuel, ce que l'on doit devenir quand on fait partie d'une famille donnée; ceux qui indiquent comment on doit se comporter vis-à-vis des autres membres du groupe familial; enfin, ceux qui signalent comment penser et comment agir face aux autres, à ceux qui sont étrangers au groupe."

Monologue

Où est la douleur ? Où est le souffle ? Partis, envolés.
Où est la douleur ? Où est le souffle ? Partis, revenus.
Où est la joie ? Où est l'amour ?
Où est la joie, sur la voie de non retour.

Et l'amour ? Il court.
Il court après la joie, elle-même poursuivie par la douleur.
Il court après la douleur, il retrouve la douleur.

Où est, mais où est quoi ?
Ce qui est n'est pas ce qu'on croit, où bien l'est-ce ?
Et puis, croire pour quoi ?

Je crois en la douleur, mais y crois-je ?
Je sens, mais je ferme la porte... vite... fort.
Je ferme la porte pour ne pas laisser passer les courants d'air...
Je pourrais prendre froid au coeur...

Où est la douleur ? Elle frappe, frappe.
Où est la douleur ? À la tête, à la tête.
Où ? À la porte ? Contre le mur ? Non, ça c'est ma tête...

Je ne la vois pas, je ne la sens pas, je ne veux pas.
Ainsi ai-je décrété.

Mais les paroles, vous savez, ça s'envole.

Où est la douleur ? Elle est là, et je ne suis pas un héros.

Alors, alors on vit avec. Ce n'est plus moi, mais "on". La douleur est routinière, une compagne de voyage, une simple tristesse, un simple regret... sans objet, ou sans objet autre que moi.

Où est la douleur ? Partout, nulle part. Une pointe ici, une pointe là : camisole de pénitence pour ne pas oublier, ou pas totalement du moins.

Je vis ma vie

Je vis ma vie, mais j'ai la tête ailleurs...
Je suis écervelé.
Cela s'est passé un beau matin d'enfer,
lorsque le soleil couchant est revenu prendre ses affaires.
Je vis ma vie, mais j'ai la tête ailleurs.

Les osselets (texte de jeunesse)

Deux enfants jouaient aux osselets
dans la cour, dans la jungle.
Deux enfants jouaient aux osselets
tranquilles.

Ce sont des hommes qui ne voient pas le soleil
qui leur ont appris.
Ce sont des hommes qui ne voient pas le soleil
dans leur pays.

Car ils sont pâles, et ils sont sales.
Ils n'ont que la boue.
Car ils sont pâles, et ils sont sales,
et puent le bouc.

Les deux enfants qui jouaient et riaient
étaient heureux aujourd'hui.
Les deux enfants qui jouaient et riaient
étaient repus aujourd'hui.

Les hommes qui mangeaient leur territoire
et tuaient leur gibier.
Les hommes qui mangeaient leur territoire
et les pendaient à leurs gibets
s'étaient tus dans la forêt fatiguée
de leurs coups.
Ils s'étaient tus dans la forêt épuisée
et n'étaient plus debout.

Et pourtant, ils étaient bien fades les hommes
qui avaient tout tué.
Et pourtant, ils étaient bien fades les hommes
qu'on avaient mangés.

Les routes (texte de jeunesse)

Les routes se moquent de tout.
Elles portent indifféremment
les paysans et les fous,
les amoureux de tout tempérament,
les vivants et les agonisants,
les chiens écrasés et les matous.

Un petit chien (texte de jeunesse)

Un petit chien blanc et noir
repose sur le pavé noir.
Il tend la langue vers le ruisseau
et ses yeux se perdent dans l'eau.

Dans le calme d'un matin froid,
au milieu des passants en arroi,
il se moque de la ville qui s'éveille
et se berce de son éternel sommeil.

Un parisien du Sénégal
en habit bleu et aux yeux pâles
l'enlève de son berceau brutal
qui a accueilli seul ses derniers râles.

dimanche 15 mars 2009

Effets des abus sexuels sur les hommes

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ? (Marc Chabot)

Pour répondre à cette question impossible, il me faudrait d'abord répondre à plusieurs autres questions : Qu'est-ce qu'un homme ? Comment le fabrique-t-on ? Que pensons-nous qu'il devrait être ? Y a-t-il en l'homme un dégoût de vivre qu'on ne rencontre pas chez les femmes ? Y a-t-il un instinct de destruction spécifiquement mâle ? Y a-t-il, dans l'univers masculin, des fragilités que nous n'aurions pas encore identifiées et qui mènent au suicide ? L'homme est-il fait pour vivre ? Est-ce que sa mise au monde est plus complexe ?

Je préfère vous le dire tout de suite, je ne détiens pas de telles réponses. Je n'ai ni le savoir, ni l'expertise pour m'aventurer dans ces territoires. Et, sans désespérer, sans même vouloir vous mener dans la désespérance, je pense que nous n'aurons pas une réponse nette à ces questions avant bien longtemps. Mais cela ne constitue pas une raison pour cesser de penser. Je vais donc tenter de répondre à cette question : pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ? Et je vais vous proposer plusieurs réponses. Mais mes réponses seront parfois contradictoires. Il ne faut pas avoir peur de ne pas savoir, de se contredire, de se retrouver devant des paradoxes. Nous ne sommes pas ici dans un domaine scientifique, même si nous parlons parfois le langage des sciences et si nous inventons des concepts comme la la prévention du suicide.

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ?

D'abord, nous occupons une place vide dans le néant. Nous sommes là par hasard ou par amour. Nous habitons le corps d'une femme, la tête d'un homme ou les deux. On nous parle. On nous fabrique. On s'occupe à nous sortir du néant ou à nous y enfoncer. On nous dit : "viens" ou "pourquoi es-tu là?" On nous rêve, on nous veut, on nous désire, on nous rejette, on nous nie. Mais toujours on nous parle.

Je parle avec des mots. J'effectue un remplissage du néant. Je parle et vous écoutez. Nous sommes tous attentifs. Je parle et vous vous parlez en même temps. Vous êtes en train de vous dire : "je n'y avais pas pensé" ou "je savais déjà tout cela". Le suicide est un retour au silence. Le retour du néant. Plus rien ou presque de l'autre ne peut être entendu. Parfois, parce que nous sommes aveugles, plus rien de l'autre n'existait depuis des jours, des mois, des années.

Les hommes ont, plus que les femmes, un problème de langage. Ils ne savent pas se dire. On pourrait aussi écrire : nous ne savons pas les entendre. Ils ne savent pas occuper l'espace, remplir le néant avec des mots. Nous sommes le langage. Par le langage, je construis un lieu d'où quelque chose de moi peut être entendu. Pour le moment, les femmes savent mieux que les hommes que les mots ne sont pas là pour rien, mais les femmes ont besoin des hommes, de tous les hommes et les hommes ont besoin des femmes pour apprendre, et nous avons besoin de nous pour y croire. Nous sommes tous des décodeurs de langage. Le suicide est un échec, un cas limite, une transgression. La dernière. Le suicide, c'est toujours un humain qui est en train de dire : là où je suis, personne n'entend.

L'univers masculin, chez les jeunes et chez les adultes, est si faible en langage qu'il suffit d'un rien pour franchir les limites. La limite pour dire qu'il n'y a pas de raisons pour vivre.

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ?

Parce qu'ils sont des hommes.

Un homme, c'est-à-dire un être humain à qui on a dit qu'il devait vivre dans le soupçon. À qui on a dit, depuis une vingtaine d'années, qu'être homme est une maladie, à qui on a dit qu'il devait même douter de son humanité parce qu'il est un homme. À qui on ne cesse de répéter qu'il est malhabile, qu'il est coupé de ses émotions, qu'il s'enferme dans son silence, qu'il est violent, qu'il est un mauvais père, un mauvais baiseur, un mauvais amant, un être sans compassion, un sous-développé affectif, un violeur potentiel.

En même temps, il peut être un héros. Tout régler d'un coup de poing. Devenir chevalier servant. Sauver l'humanité une arme à la main. Une femme peut lui dire : "Sauve l'humanité et je retourne à la maison", comme on peut le voir dans Independance Day.

Et parce qu'il n'est plus le définisseur de ce qu'il doit être, parce qu'il a du mal à savoir ce que c'est qu'être un homme, parce qu'il attend une réponse d'ailleurs mais qu'il n'y a plus d'ailleurs, il est de plus en plus torturé, contradictoire, malade, indécis, flou, brisé, ébranlé, abject et brillant à la fois.

Mais il est aussi suicidaire. Il vit dramatiquement son problème d'identité parce qu'il ne réussit pas à être un homme et ne sait plus ce que c'est qu'être homme. Alors, les questions reviennent.

...qu'est-ce que n'aurait pas perdu le monde si je n'avais pas vu le jour ? Qu'en dirait le soleil ? Et qui donc vivrait alors dans ma chambre ?1

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ?

Je ne crois pas que l'on se suicide pour une raison générale, pour une conception générale de la vie. Mais cette idée générale que l'on peut se faire de ce qu'est vivre permet le suicide.

Je pense que les hommes se suicident parce que, dans notre société, on propose (surtout aux hommes), la mort volontaire comme une solution pour résoudre nos problèmes. La mort volontaire est de plus en plus présentée comme un fait divers. Une banalité. La fin des tourments, la fin apparente des tourments, une libération, un acte osé, une solution radicale, un droit. Un geste héroïque. Une claque sur la gueule à la société, la dernière grimace d'un homme au monde, la transgression ultime. Mais c'est aussi une rupture de langage, la fin du dialogue. Le bout du monde. Le silence.

Il y a dans le suicide des hommes, un échec camouflé en geste héroïque. Je dirais que la chose est énorme, mais elle est là. Il y a, dans le suicide des hommes, un échec déguisé en acte libre et volontaire. En écrivant cela, je ne dis pas que les hommes qui se suicident sont lâches, je veux surtout dire que c'est ainsi qu'on nous propose de penser notre vie d'homme. Et c'est justement parce que c'est ainsi qu'il me semble urgent de questionner sérieusement le concept de mort volontaire.

Aucun humain ne peut prétendre vivre en évitant pendant 70 ans une ou plusieurs crises existentielles. Mais il est rare que l'on insiste sur le fait que les crises existentielles sont des fragments de vie. Un moment pénible, souffrant. D'une temporalité brève ou longue, mais toujours un fragment de la vie, un fragment du temps.

Aucun humain n'échappe vraiment aux crises existentielles et c'est durant ces crises qu'il a besoin plus que jamais de se rappeler qu'il est un humain. Mais il n'est jamais facile de raconter que la solitude est en train de nous manger de l'intérieur.

Affronter la souffrance n'est possible qu'ensemble, même si nous savons bien que nous ne pouvons jamais comprendre précisément la souffrance de l'autre. Les crises existentielles n'ont pas vraiment de solution définitive, elles sont là comme une fatalité.

Mais nous ne comprendrons rien au suicide tant et aussi longtemps que nous le réduirons à une maladie. Une crise existentielle n'est pas une maladie, c'est un passage obligé dans la vie d'un être. Un passage terrible dans une société qui réduit toute la vie à un divertissement, à un amusement vidéo, au spectacle. Un passage terrible dans une société qui n'en a que pour le ludique, qui camoufle le mal d'être.

Une crise existentielle est un moment où la solitude nous prend à la gorge. Elle fait douter de l'autre, des autres, de l'amour, de l'amitié, de ma propre existence dans le monde.

Comme le disait un personnage dans une nouvelle de Tolstoï :

...c'est de moi-même dont je suis fatigué, c'est moi la chose intolérable qui est mon tourment. (...) je ne parviens pas à m'éloigner de moi-même.2

Il y a des moments dans la vie où l'on devrait s'interdire de se fréquenter parce qu'on n'est plus fréquentable.

Un homme qui aime est un homme qui accepte et prend le risque de "s'éloigner de lui-même". Il se laisse habiter par une autre. Il se sait regardé, il se sait regardant. La "fatigue de soi", la terrible "fatigue de soi" n'est plus là.

C'est toujours de soi qu'on s'épuise. Un homme qui pense au suicide est souvent un homme qui est épuisé de lui-même, de ce qu'il est ou de ce qu'il n'est pas, de ce qu'il n'arrive pas à être. Il s'enlise en lui-même. Nos yeux ne sont pas faits pour se regarder.

Tout cela n'est pas spécifique au masculin, on s'entendra là-dessus. Mais le "moi" masculin est depuis plusieurs années en reconstruction, peut-être même faudrait-il dire en déconstruction.

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ?

Parce qu'ils sont seuls et qu'ils vivent les enseignements de la culture, à savoir que la solitude est bonne pour les hommes. Ils doivent en supporter les bonheurs et les souffrances. Et cette solitude n'est plus pensée. Mais elle élimine toute rencontre avec les autres. Les enseignements d'une culture qui propose l'enfermement en soi, la prison, le cachot.

Ce n'est pas seulement une question de sentiment. Cessons de nous réjouir de cette découverte assez niaise finalement, qui veut que les hommes soient incapables d'affirmer leurs sentiments. Voilà maintenant vingt ans qu'on le dit, qu'on le répète, qu'on travaille à faire parler les hommes. Plus on le dit, plus ils se taisent, plus ils se ferment.

Retrouvons en nous les pouvoirs de la recherche, non seulement pour faire pleurer les hommes, mais pour découvrir comment fonctionne un être humain qui ne choisit pas le langage pour dire qui il est.

Si les hommes pensent qu'ils sont lorsqu'ils font, il faut admettre que notre société n'a plus beaucoup de choses à leur offrir. Les hommes attendent. Ils ne travaillent plus, ils ont du mal à fonder une famille. Ils n'ont bien souvent qu'une existence aléatoire dans cette société. Tout leur échappe, en commençant par eux-mêmes, mais aussi le monde, l'amour, les femmes, les enfants, le travail, le bonheur et le goût d'être. Et quand j'écris que tout leur échappe, je ne parle pas de l'homme qui se voudrait propriétaire de tout cela.

Je pense surtout à un homme qui vit avec l'idée qu'il n'existe pas seulement pour lui-même, mais avec les autres et pour les autres.

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils ?

L'homme se suicide parce qu'il est désoeuvré, il faut insister sur le mot. Désoeuvré : qui n'exerce pas d'activité précise. Inactif. Inoccupé. Oisif.

Derrière la plupart des suicides, il y a du désoeuvrement. Désoeuvré social, sans travail. Désoeuvré psychologique, sans projet de vie. Désoeuvré affectif, sans aucun amour à vivre.

Il se pourrait bien que le désoeuvrement de chaque être, le désoeuvrement de l'âme mène directement à la négation de son être. Et l'être peut résister longtemps. Il peut se tuer lentement. Ça commence par la noyade dans l'alcool, la dérive dans les drogues. Vivre encore oui, mais le plus possible à côté de soi, le plus loin possible de soi.

Quand il est impossible de s'oublier pour les autres, on commence à s'oublier soi-même. On s'installe ailleurs. Parfois même en s'amusant. Le désoeuvrement d'un premier trip, d'une première cuite. Les petits plaisirs que procure cette absence de soi. Il n'y avait rien d'autre à faire que de quitter les lieux. La fierté est mince, mais le goût de vivre aussi.

Pourquoi tant d'hommes se suicident-ils?

On pourrait se demander plutôt : pourquoi tant d'hommes doivent-ils faire des efforts inouïs pour se tenir en vie devant les autres?

L'individualisme mal compris est confondu avec l'égoïsme. L'individualisme mal compris dit : tout est en toi.

Mais si, en moi, il n'y a plus rien, je me sens foutu.

Avant le suicide, il y a toujours la disparition lente ou précipitée des autres. Dans son essai intitulé La souffrance, le philosophe Bertrand Vergely écrit :

Quand on se tue, cela mobilise un nombre considérable de personnes. (...) cela a des effets que l'on ne mesure pas dans l'espace de l'humanité.

Un peu plus loin, il ajoute : Qu'on le veuille ou non, tout suicide conduit à alimenter la tristesse collective, ainsi que la piètre opinion que certains sont tentés de donner de l'humanité.3

Quand je pense au suicide d'un homme en particulier je ne peux m'empêcher de penser à cette mobilisation des autres, à cette mobilisation qui peut nous mener très loin du bonheur. L'homme qui se suicide est un homme qui a perdu ses forces. D'abord celles de raisonner, mais aussi celles d'espérer, celles qui pourraient lui faire entrevoir un bonheur possible.

L'espace humanitaire se rapetisse. Je ne le répéterai jamais assez : l'humain n'existe qu'accompagné.



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Notes :

1. Ödön von Horvath, Jeunesse sans Dieu, Paris, 10/18, p.36.

2. Cité par Colin Wilson dans L'homme en dehors, traduction de Leo H. van Hoy, Paris, Gallimard, coll. Les essais, 1958, p.185

3. Bertrand Vergely, La souffrance, Paris, Gallimard, Folio, 1997, p. 223-224



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Marc Chabot
Professeur de philosophie
Cégep Francois-Xavier Garneau

samedi 7 mars 2009

vendredi 6 mars 2009

Poème écrit par une amie

Partir
Sans se retourner
S'enfuir
Pour oublier le passé
Tout quitter
Sans une larme
Sans un regret
Tout effacer
Sans un remord
Sans pitié
Dormir
Pour ne plus penser
Sourire
Pour ne plus pleurer
Te maudire
Pour le mal que tu m'as fait
Souhaiter
Pouvoir aimer
Imaginer
De nouveau être gaie...

jeudi 5 mars 2009

Témoignages de victimes masculines

Deux liens:

pour les germanophones : http://www.dailymotion.com/relevance/search/sexueller%2Bmissbrauch/video/x5kr9c_00013-missbrauchtdvff_people


pour les anglophones : http://www.stopthesilence.tv/video/205916-shatterboy-men-surviving-sexual-abuse.html

LISTE DES CONSEQUENCES SEQUELLES D'INCESTE

LE SYNDROME POST-INCESTE CHEZ LES FEMMES ET LES HOMMES

LISTE DES CONSEQUENCES DE L'INCESTE CHEZ LES SURVIVANTS


par E. Sue Blume, C.S.W., Diplomate in Clinical Social Work, auteure de deux livres : Secret Survivors: Uncovering Incest and Its After-effects in Women et You're Still.


L'inceste constitue une violation tellement traumatisante que souvent les victimes oublient que cela leur est arrivé. Mais les cicatrices émotionnelles sont bien présentes, même si elles paraissent déroutantes à cause de leur manque de signification apparente. Les problèmes continuels dans les relations, la sexualité, la confiance, le contact physique, les dépendances, la dépression et la culpabilité peuvent, quand leur cause est inconnue, donner le sentiment de devenir fou et de perdre le contrôle de soi-même. Cette liste peut être utilisée pour aider l'adulte survivant à s'identifier en tant que victime d'inceste, pour qu'il sache qu'il existe bien des raisons aux difficultés qu'il éprouve, et qu'en fait, ces "problèmes" sont un moyen de contourner une douleur insoutenable.

L'inceste, la forme la plus commune d'abus sexuel sur un enfant, est avant tout un abus sur un enfant, un abus des limites personnelles et sexuelles de l'enfant par une personne de confiance censée prendre soin de lui. L'inceste est toute utilisation d'un enfant mineur pour satisfaire des besoins sexuels et/ou émotionnels d'une ou plusieurs personnes dont l'autorité s'appuie sur des liens affectifs avec l'enfant. Il faut noter que l'inceste est un abus qui se retrouve dans une relation de pouvoir et pas forcément uniquement dans les liens du sang : c'est la violation de la confiance qui entraîne les plus gros dommages chez l'enfant.

1. La peur de se retrouver seul dans le noir, de dormir seul; les cauchemars, les peurs nocturnes (surtout la poursuite, la menace et l'enlèvement);

2. Ne pas exprimer sa sensibilité; la peur de l'eau sur le visage durant le bain ou en nageant (sentiment de suffocation);

3. Aliénation à l'intérieur de son propre corps; incapacité à prendre en compte les signaux de son corps ou bien d'en prendre soin; mauvaise image de son corps; prise ou perte de poids pour éviter d'attirer l'attention sexuelle;

4. Problèmes gastro-intestinaux; problèmes génitaux (dont les infections vaginales spontanées); maux de tête, arthrite ou douleur aux articulations;

5. Porter de nombreux vêtements, y compris en été; porter des vêtements larges; incapacité à se dévêtir dans les situations appropriées (pour nager, pour se baigner, pour dormir); contraintes très importantes pour l'intimité dans la salle de bains.

6. Désordres alimentaires, abus de drogue ou d'alcool (ou abstinence totale); autres dépendances; comportements compulsifs;

7. Automutilation; blessures auto-infligées;

8. Phobies;

9. Besoin d'être invisible; perfectionnisme;

10. Pensées suicidaires; tentatives de suicides; obsession du suicide;

11. Dépression (parfois paralysante); pleurer sans raison apparente;

12. Problème de colère; incapacité de reconnaître, d'admettre et d'exprimer sa propre colère; peur d'une colère réelle ou imaginaire; constamment en colère; très grande hostilité à l'égard de toute personne du sexe ou de l'ethnie de l'agresseur;

13. Dépersonnalisation; faire des malaises, des crises dans des situations stressantes; être toujours en crise; insensibilité psychique; douleur physique ou insensibilité associée à des souvenirs particuliers, des émotions (par exemple la colère) ou des situations (par exemple les relations sexuelles);

14. Contrôle rigide du processus de pensée; manque d'humour ou sérieux extrême;

15. Se réfugier dans l'enfance, s'accrocher à quelqu'un, se recroqueviller dans un coin (comportements pour rechercher la sécurité); nervosité à l'idée d'être vu ou surpris; se sentir épié;

16. Problèmes de confiance; incapacité à faire confiance (on n'est pas en sécurité lorsque l'on fait confiance ); accorder trop de confiance; accorder sa confiance sans discernement;

17. Prise de risque élevée ("défier le sort"); incapacité à prendre des risques;

18. Problèmes de limites; contrôle, pouvoir, territorialité: peur de perdre le contrôle; comportements compulsifs/obsessionnels (tentative de contrôler des choses sans importance juste pour contrôler quelque chose!); confusion entre sexe et pouvoir;

19. Culpabilité / honte / très faible estime de soi / se sentir bon à rien / haute estimation des petites faveurs des autres;

20. Comportement de victime (persécuter quelqu'un après avoir été soi-même victime), surtout sexuellement; aucun sens du pouvoir ou bien du droit d'imposer des limites; incapacité de dire "non"; rechercher des relations avec des personnes beaucoup âgées (commence à l'adolescence);

21. Envie d'aimer et d'être aimé; savoir et faire instinctivement ce que l'autre personne veut ou espère; les relations sont de grands échanges (l'"amour" a été pris, mais non donné);

22. Sentiment d'abandon;

23. Incapacité de se souvenir de certaines périodes (surtout entre 1 et 12 ans), ou d'une personne ou d'un lieu spécifique;

24. Sensation de porter un lourd secret; être pressé de le dire ou bien au contraire avoir peur qu'il soit révélé; penser que personne ne le croira. Etre généralement secret. Se sentir "marqué";

25. Se sentir fou; se sentir différent; se sentir irréel alors que tous les autres sont bien réels, ou inversement; se créer des mondes imaginaires, des relations ou des identités (par exemple pour une femme, s'imaginer, se croire un homme c'est à dire, pas une victime);

26. Déni; aucune conscience de ce qui s'est passé; répression de la mémoire; faire semblant; minimiser ("ce n'était pas si grave"); avoir des rêves ou des souvenirs ("c'est peut-être mon imagination") (flash-back); très fortes réactions négatives "inappropriées" à l'égard d'une personne, d'un lieu ou d'un événement; flashs (lumière, lieu, sensation physique) sans avoir aucune idée de leur signification; se souvenir de l'environnement mais pas des faits. La mémoire peut revenir par le dernier événement traumatisant ou bien l'agresseur. Les détails de l'abus peuvent ne jamais revenir à la mémoire; quoiqu'il en soit la guérison peut intervenir même si on ne se souvient pas de tout. Votre inconscient libère les souvenirs au moment où vous êtes capable de les affronter.

27. Problèmes sexuels; le sexe est quelque chose de sale; aversion à être touché, surtout lors des examens gynécologiques; très forte aversion pour certaines pratiques sexuelles, ou au contraire très fort désir; sentiment d'être trahi par le corps; problème pour mêler sexualité et émotions; confusion et mélange de sexe/affection/domination/agression/violence; avoir besoin d'une relation de pouvoir dans les relations sexuelles; abuser des autres; séduction "compulsive" ou au contraire tout faire pour ne pas être séduisant; besoin d'agresser ou incapacité totale à agresser; relations sexuelles impersonnelles et dénuées de sentiments avec des étrangers avec incapacité d'avoir des relations intimes dans le cadre d'une relation amoureuse (conflit entre la sexualité et l'attention); prostitution; strip-tease; acteur porno; dépendance au sexe; refus du sexe; arrêt des relations sexuelles; pleurer après l'orgasme; sexualiser toute relation; réponse érotique à tout abus ou colère; fantasmes de domination ou de viol (culpabilité et confusion); Remarque : l'homosexualité n'est pas une conséquence de l'inceste;

28. Comportement ambivalent ou conflictuel dans les relations; Remarque : les partenaires de survivants souffrent également souvent de conséquences du syndrome post-inceste, surtout dans les comportements sexuels et relationnels;

29. Refus de se voir dans un miroir (invisibilité, honte, faible estime de soi, méfiance à l'égard des apparences);

30. Désir de changer de nom pour se dissocier de l'agresseur ou prendre le contrôle de soi;

31. Ne supporte pas le bonheur; réticence ou retrait par rapport au bonheur;

32. N'aime pas faire du bruit y compris pendant l'acte sexuel, en pleurant, en riant, ou tout autre fonction corporelle; très grande attention portée à la parole (attention particulière au choix des mots des autres; voix très douce, surtout quand il y a besoin de se faire écouter);

33. Vol;

34. Personnalité multiple.


Remarque pour les thérapeutes : tout le monde, et en particulier ceux qui ont besoin d'une psychothérapie, peut manifester ces symptômes bien que certains soient particuliers aux victimes d'abus sexuels dans l'enfance. Quand ils apparaissent ensemble, il y a une probabilité importante qu'un inceste soit survenu dans l'enfance.

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Auteur: E.Sue Blume