jeudi 5 novembre 2009

Les jeux du je : mémoire et identité

La personnalité qui se développe dans un milieu sain apprend à reconnaître ses désirs et ses craintes à travers les désirs et les craintes de ceux qui l'entourent avec amour et tendresse et, peu à peu, il apprend à étendre son cercle de rapports humains au-delà du cercle des êtres aimants jusqu'à aborder le spectre complet des relations sociales à travers l'école, les amis, les expériences de l'adolescence, etc.

Dans des cas comme le mien, la personnalité s'est développée parmi des adultes qui attribuent à l'enfant leurs propres désirs pour en faire un objet "consentant", docile, qui cherche à plaire pour quémander un brin d'attention. Le désir de l'autre est devenu son propre désir du moment que les seules formes d'attention disponibles sont des formes objectifiantes: le "je" n'est plus "sujet", mais "(sujet)objet", c'est-à-dire "sujet" se modelant sur son existence objectifiée par l'adulte pervers, sujet "s'auto-objectifiant" lorsqu'enfin il s'achemine vers l'âge adulte pour vivre en plein sa nature de "victime", la seule arme restant à sa disposition étant une "passivité agressive" qui réduit l'autre à un état d'agresseur chaque fois que le complexe de victime-objet entre en jeu.

Le sujet joue donc à se perdre à travers son histoire et fait revivre à travers lui-même la volonté du pédophile, toute résurgence du sujet véritable étant perçue comme un danger de non existence puisque c'était l'émergence de ce même sujet que le pervers cherchait à annihiler. L'adulte maltraitant cherche à bloquer toute velléité d'autonomie chez l'enfant en convainquant celui-ci que l'expérience qui lui est infligée est toute la réalité qui existe. Lorsque la réalité effective fait peu à peu irruption dans le monde de l'enfant, il est trop tard: son vécu est devenu toute la réalité qui existe pour lui.

Pour s'affranchir de cette réalité, il reste donc à l'adopter telle quelle, toute entière, à la faire sienne, de sorte à être volontairement ce que l'autre nous a amené à être sans notre volonté. Le paradoxe de la victime qui se convainc elle-même de faire des choix (prostitution, scarifications,...) sans accepter de responsabilités, mais sans se retourner non plus contre son agresseur; le paradoxe de la victime qui ne se sait pas victime mais vit une vie de victime.

6 commentaires:

  1. tu écris : "passivité agressive "qui réduit l'autre à un état agresseur chaque fois que le complexe objet-victime entre en jeu".
    dans quelle condition entre-il en jeu une fois qu'on n'est plus en situation réelle de victime? je veux dire dans la vie quotidienne?
    est-ce que plus loin tu ne parles pas de "l'identification" à l'agresseur?le "je" de la victime serait un danger pour l'agresseur et deviendrait en même temps un danger pour lui- même à la longue? ouf ca fait peur!c'est peut-être pour ça qu'il a envie de "disparaître" psychologiquement parlant? il a appris que son "moi" devait être anihilé? et même son "moi" le terrorise ? son "moi " est son ennemi ? alors il le blesse? son moi corporel et mental?
    ouf c'est bien intéressant. je ne sais pas si je t'ai bien suivi car je suis nulle en philo!

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  2. L'enfant est sans arme face à l'adulte: la seule action qui reste encore à sa disposition est celle de plaire pour soutirer ne serait-ce qu'un regard un peu plus tendre ou une seconde de tranquillité. Plus tard, cela restera: en "jouant" la victime, le survivant essaie de mettre l'autre en faute, de le faire sentir coupable. Dans les relations intimes, l'autre a tendance à être perçu comme nouvel agresseur dans le sens où les seuls rapports intimes que le survivant ait connu ont été des rapports d'agression. Le survivant applique donc ses vieilles stratégies: faire le mort, plaire, cajoler, s'isoler. Face à un partenaire qui n'est pas agresseur, ce comportement est une forme cachée d'agression: le partenaire se retrouve placé dans un rôle qui ne lui appartient pas sans possibilité de nouer des relations de confiance, et la situation persiste tant que le vécu traumatique reste du domaine du non-dit. De son côté, le survivant se sent seul, entouré d'un vide qu'il a lui-même contribué à créer et qu'il entretient comme une sorte d'arsenal de prévention (ceci dit, cet arsenal marche mieux avec des partenaires non préparés et, donc, non agresseurs - les véritables agresseurs s'en moquent bien, ce qui explique que les victimes rencontrent souvent d'autres agresseurs).

    Lorsque le survivant apprend finalement à se rendre compte de ses propres mécanismes de défense et à assumer la responsabilité de ses actes en surmontant le complexe du "ce-n'est-pas-ma-faute", un "ce-n'est-pas-ma-faute" qui plane indéfiniment dans le doute et qui est cause de désespoir, alors il a une chance d'établir un lien véritable avec une autre personne sans renvoyer à cette personne la faute du pervers: la victime doit cesser d'être le miroir du pervers et de voir le monde à travers les yeux du pervers.

    Cela fait peur, cela fait surtout mal de savoir qu'on est manipulé à distance de décennies: ces hommes et ces femmes qui ont brisé nos vies d'enfants nous ont inoculé leur propre pourriture dans la cervelle.

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  3. Ce que tu dis est juste. Si juste.
    ce qui m'inquiète c'est que mon parcours déjà avancé il me semble du moins, ne devrait plus me laisser dans ce conditionnement et pourtant...
    Je suis quand même contente de te lire Philippe.
    Bien à Toi

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  4. comment fait-on pour savoir ce qui vient des yeux du pervers? car il y a des choses évidentes qu'on comprend tout de suite mais d'autres plus pernicieuses.

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  5. Retrouver l'enfant en soi par John Bradshaw.
    http://resilience-autofiction.over-blog.fr/article-1-retrouver-l-enfant-en-soi-par-john-bradshaw-38718991.html

    J'ai bien avancé avec ce livre et ces techniques.
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    Page 46
    Pour mieux se croire aimé, l'enfant blessé façonnera son comportement en se conformant aux attentes présumées de ses parents. Son faux moi se développera au fil des ans et sera renforcé tant par les besoins du système familial que par les exigences immanentes aux rôles sexuels propres à chaque culture. Graduellement, le faux moi deviendra ce que la personne croit réellement être ; elle en oubliera que ce moi n'est qu'une adaptation, une sorte de mise en scène inspirée d'un scénario écrit par quelqu'un d'autre.
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    Page 56

    L'enfant intérieur blessé contamine également la vie de l'adulte par une déprime chronique qui est ressentie comme un sentiment de vide. Ce genre de dépression est dû au fait que le sujet a été obligé, durant son enfance, d'adopter un faux moi et de laisser son vrai moi derrière lui : cet abandon du vrai moi crée inévitablement un vide intérieur que j'ai baptisé « le phénomène du trou dans l'âme ». Lorsqu'une personne perd ainsi son moi authentique, elle n'est plus en contact avec ses vrais sentiments, ses besoins et ses désirs. Ce qu'elle éprouve à la place, ce sont les sentiments et les exigences du faux moi, qui la conduiront, par exempte, à « être gentille », une des attitudes typiques du faux moi. Une « gentille femme » n'exprime jamais ni sa colère ni ses frustrations.

    Vivre avec un faux moi équivaut à faire du théâtre. Une représentation pendant laquelle le vrai moi de la personne n'est à aucun moment présent. Une cliente en voie de guérison m'a un jour décrit cela de la manière suivante : « C'est comme si je me tenais à l'écart en me contentant de regarder passer la vie. »

    Le fait de se sentir vide constitue une forme de dépression chronique, puisque l'on ressent constamment la perte de son vrai moi. Tous les adultes enfants éprouvent cette déprime chronique plus ou moins intensément.

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  6. Merci pour ces références, et merci pour ton blog qui contient beaucoup d'autres choses. Tout cela confirme mes intuitions, mon vécu.

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